« On rentre dans une prison du Bénin pratiquement pour y demeurer toute sa vie ou pour y mourir »
Q/ Maître Paul Kato Atita, vous êtes avocat à la cour et vous êtes permanemment au contact des réalités dans nos prisons. Quelles peuvent être les causes de cette situation
R/ Le code de procédure pénale du Bénin est un code qui date de 1967. Dans ce code vous avez des dispositions qui aujourd’hui ne sont plus adaptées ; ou même si elles sont adaptées leur application pose d’énormes problèmes. Quand on est un avocat qui s’intéresse aux matières pénales, on sent tous les jours la nécessité de modifier ce code de procédure pénale ou de faire clarifier des points qui s’y trouvent. Un exemple très banal, mais fondamental dans ce code, c’est la détention préventive. La question de la détention préventive est devenue préoccupante. Moi je m’étonne que les gouvernements successifs même depuis la révolution jusqu’à aujourd’hui ne s’intéressent pas à comment régler ce problème de détention préventive et les prisons sont surpeuplées, sur tout l’ensemble du territoire. Une prison qui est construite pour 200 personnes, en contient jusqu’à 500 ou même 600 prisonniers ; les conditions de vie sont manifestement intenables et on ne fait rien pour améliorer la législation en matière de détention préventive. Aujourd’hui, lorsque quelqu’un rentre dans une prison du Bénin, il ne peut pas dire à quand il va sortir. Même son avocat ne peut dire à quand il va s’en sortir. On rentre dans une prison du Bénin pratiquement pour y demeurer toute sa vie ou peut être pour y mourir. La notion de détention provisoire que nous utilisons n’est plus adaptée, elle devient une détention à vie dans nos prison ; il faut réglementer cela. Il faut faire en sorte que le juge d’instruction qui reçoit quelqu’un dans son cabinet qui le place sous mandat de dépôt, que ce juge puisse savoir qu’il n’a plus la liberté de décider seul comme il veut, quand il veut de comment sortir l’intéressé. Il faut faire en sorte que le juge sache que son pouvoir à lui-même est limité dans le temps. Aujourd’hui, lorsque quelqu’un est placé sous mandat de dépôt et vous formulez une demande de mise en liberté provisoire, vous en formulez tous les jours et c’est des rejets tous les jours. Pendant ce temps, notre code dit que la détention est l’exception et la liberté la règle. Mais dans l’application, ce n’est plus la liberté qui est la règle mais la détention. Vous verrez des gens qui font 10 à 15 ans de détention préventive, vont au jugement et au finish, on dit qu’ils sont acquittés. Mais ils auront déjà passé 10 à 15 ans en détention ; qui va réparer ces préjudices ? Notre code n’en dit rien. Il faut nécessairement fait limiter la détention préventive dans le temps et surtout la manœuvre du juge d’instruction dans ce domaine. Il faut placer le juge d’instruction sous un contrôle rigoureux en matière de détention préventive. IL faut faire en sorte qu’il n’y ait plus de prorogation à l’infinie. Notre code dit que chaque 3 mois ou 6 mois il faut proroger, et les juges prorogent à l’infinie. Un exemple, lorsque le juge d’instruction sait qu’il peut proroger le mandat à l’infinie, comment voulez vous qu’il travaille ? Cela le conduit même à la paresse parce qu’il n’est pas sous pression, sous contrôle de la loi ; il peut laisser un dossier en suspens pendant 3, 4 à 5 ans parce q’il sait qu’il à la possibilité de proroger jusqu’à l’infinie et c’est quand il veut qu’il travaille là dessus. La conséquence, est que les gens s’entassent dans nos prisons, les cabinets d’instruction sont remplis. Donc le problème fondamental dans notre code, c’est la détention préventive et il faut le régler au plus vite. La deuxième chose non moins importante, c’est qu’il faut que le pouvoir lui-même arrête le pouvoir. Dans le code, il y a une situation un peu anormale toujours par rapport à la détention préventive. Si le procureur n’est pas d’avis pour la liberté provisoire, il fait appel, il fait cassation et pendant ce temps, l’intéressé est toujours détenu. Un exemple, dans les procès politico judiciaire au pénal, vous prenez un homme politique qui est peut être mal vu par un pouvoir en place et qui a le malheur de se retrouver dans une procédure pénale, on le garde en prison. Le procureur de la République qui est un homme aux ordres du gouvernement conformément à notre loi, le juge le met en liberté ; il suffit que le gouvernement dise au procureur je suis contre, le procureur va faire appel et le monsieur ne sortira pas. Là, ce n’est plus la volonté du procureur qui transparaît, il peut bien savoir en tant que magistrat que le monsieur à droit de sortir, mais puisse que la loi dit que quand il reçoit l’ordre, il doit l’exécuter, il est obligé de l’exécuter. Ainsi indirectement, quand nous parlons de séparation du pouvoir, s’en est plus une ; la séparation est contournée et affaiblie par la possibilité que la loi et le code de procédure pénale donne lui-même au gouvernement, au pouvoir exécutif de s’ingérer dans la procédure pénale indirectement par le procureur de la république ou le procureur général. Ce n’est pas toutes les fois que le procureur de la république fait appel contre une décision qu’il le fait de lui-même, ce n’est pas toutes les fois qu’il le fait parce qu’il a conscience qu’il faut le faire ; il le fait surtout et souvent, parce que le chef le lui a demandé. Et la loi dit qu’il ne doit pas désobéir à son chef qui se trouve être, le ministre de la justice, le président de la république ou le gouvernement.
Q/ C’est heureux qu’aujourd’hui un projet de loi portant code de procédure pénal est sur la table des députés à l’Assemblée Nationale pour étude. Quelles sont les modifications que vous auriez souhaité qu’on y apporte ?
R/ Tout ce que je vais souhaiter c’est qu’au moment où ces textes seront en discussion, que les députés travaillent avec précaution, qu’ils prennent en compte les observations des praticiens, des gens qui vivent le problème. Je disais tout à l’heure que le procureur sous ordre du pouvoir en place fait appel ; mieux, c’est lui qui doit encore apprêter le dossier pour l’envoyer devant la chambre d’accusation qui va juger. Toujours est-il que s’il est sous pression, il se donnera le temps qu’il veut pour transmettre ; ce qu’on peut transmettre en 24 ou 48 heures, il peut le faire au bout de 6 mois, pendant ce temps, l’intéressé est toujours en détention. Quand la chambre d’accusation libère le détenu, le même procureur a le droit s’il est toujours sous pression de faire une cassation et dans ce cas le détenu est toujours gardé dans les liens de la justice. En clair, c’est des textes qu’il faut revoir, et limiter leur portée, car ils nuisent véritablement aux personnes en détention. Le code de procédure pénale doit être étudié avec minutie. Les interférences entre le code de procédure pénale, les autres institutions, les autres pouvoirs, il faudrait les analyser sur tous les plans. Je fréquente beaucoup de prisons au Bénin, je parcours pratiquement toutes les prisons du Bénin ; les détenus, même ceux que je ne connaisse m’écrive et me relatent les conditions dans lesquelles ils sont appréhendés depuis 5, 8, 10 ans et de comment leur dossier évolue. Quand je lis, je suis révolté. Certains parmi eux meurent en prison sans être jugés. Je suis me souvient du cas d’un certain Gandji Alphonse à qui j’ai rendu visite à la prison civile de Porto-Novo. Il m’a dit que cela fait 7 ans qu’on m’a mis en prison pour un crime que je n’est pas commis ; et depuis lors, la mort est sur le point d’avoir raison de moi, je ne sais quand je vais quitter la prison et innocent je vais mourir en prison. Effectivement, un mois ou deux mois après, il est mort en prison. Il faut donc revoir le code de procédure pénale et le rendre plus humain et plus efficace. Il faut véritablement que la détention soit l’exception sinon ce n’est pas humain. Mieux, Alphonse Gandji n’est pas seul, ils sont deux cousins, le second du nom de Djossou Enangnon est toujours à la prison civile de Porto-Novo, il n’est toujours pas jugé et lui aussi est malade, croulant. Voilà des gens par exemple qui sont soupçonnés d’avoir assassiné, mais qui n’ont jamais reconnus les faits qui leurs sont reprochés. Le cousin de Gandji est actuellement entrain de boucler 8 ans en prison sans être jugé. Quand vous êtes en face des cas de ce genre Dieu seul sait qu’il en a beaucoup d’autres. Alphonse Gandji est rentré en prison le 29 mars 2001, il est mort le 28 septembre 2007 à 6heures 30 minutes sans jamais être jugé. A qui on va jeter le tort, qui va endosser cette responsabilité ? (Violation de droit humain). Il y a une autre faiblesse toujours en matière pénale. Il s’agit du manque d’assistance, il faut que la loi sur l’assistance judiciaire soit mis en application; il y a une ordonnance dans le pays. Il faut que l’Etat permette à ceux qui n’ont pas les moyens de se défendre d’être défendus. Le juge qui met en prison ne le fait toujours pas parce qu’il est convaincu de la culpabilité. Il le fait parce qu’il veut qu’il soit toujours là pour mener des enquêtes.
Q/ Et en ce qui concerne le projet de loi portant code pénal également en étude?
R/ Le code pénal pose moins de problèmes parce qu’il s’agit de sanctionner des faits que la société considère comme contraire à l’ordre social. Avec cette possibilité qui est donnée aux juges d’apprécier le quantum des peines. Les quelques problèmes à revoir à ce niveau, c‘est peut être revoir la classification de certaines infractions qui sont d’office classées dans la catégorie des crimes mais qui aujourd’hui sont des infractions courantes qu’il faut correctionnaliser, les ramener dans la catégorie des délits pour permettre aux tribunaux ordinaires de les régler rapidement. Certaines autres infractions qui sont dans la catégorie correctionnelle, faire en sorte que le parquet puisse les envoyer sans difficultés en flagrant délit pour que cela soit réglé assez facilement ; revoir la question des contraventions. L’autre chose qu’il faudrait revoir au niveau du code pénal, c’est faire en sorte que les juges soient déchargés. Revoir la qualification de certaines infractions, revoir la compétence juridictionnelle pour permettre aux juges d’être déchargés. Pour former un juge, il faut du temps : faire six ans au cours primaire, avoir le CEP, aller au collège, avoir le BEPC après quatre ans et trois ans après avant d’avoir le BAC. Aller ensuite à l’université et faire 4 ans pour avoir une maîtrise et deux ans en plus avant d’avoir le diplôme de magistrat et par la suite suivre une formation pratique. Vous voyez la durée et ce que l’Etat investie ; un magistrat est un haut cadre. On ne peut pas investir pour former un cadre de ce niveau et le faire asseoir dans un tribunal pour qu’il s’occupe à chaque fois des histoires de vol de poulets, vol de moutons, des abus de confiance sur 10 milles, 20 milles ; même si c’est 50 milles aujourd’hui au 21ème siècle ce n’est pas bon. Il faut nécessairement déclasser certains crime pour pouvoir libérer les juges afin qu’ils puissent s’occuper des affaires véritables, des affaires pour lesquelles la nation à vraiment besoin de leurs compétences ; des détournements de deniers publics, les malversations dans l’administration publique et dans les sociétés d’Etat, les affaires criminelles dignes de ce nom. Parce que les infractions du genre vol de canards, de poulets ou moutons, prennent tout le temps dans nos tribunaux. Elles débordent les rôles en matière pénale. Il faut trouver une formule pour leur règlement. S’il faut aller chercher des officiers de police judiciaire conscients, qui peuvent faire preuve d’honnêteté et de probité, qui dans le règlement au niveau des unités de gendarmerie ou de la police doivent soit sous forme de contravention, d’amande, régler ces genres d’affaires. C’est des dossiers à y bien réfléchir qu’on aurait pu trancher par un flagrant délit ou une citation directe.
Armel FERAEZ